Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur de Harper Lee ✩✩

Une semaine de silence...Hin hin, où était donc cachée Petit Pied? Eh bien Petit Pied se cultivait à coups de classiques américains, oui Madame! Cet titre vous dit quelque chose? Je l'espère, et si ce n'est pas le cas on va procéder à un cure béton immédiate!



"Je voulais que tu comprennes quelque chose, que tu voies ce qu’est le vrai courage, au lieu de t’imaginer que c’est un homme avec un fusil à la main. Le courage, c’est de savoir que tu pars battu, mais d’agir quand même sans s’arrêter. Tu gagnes rarement mais cela peut arriver."
(Vous n'imaginez pas ma petite larmichette de fierté d'avoir trouvé un extrait aussi badass. Sérieusement. Le rêve de tout blogueur 😀)

Le pitch: En 1932, dans une petite ville d'Alabama ravagée par la crise, un avocat, Atticus Finch, essaie d'élever ses deux enfants Jem et Scout afin d'en faire des adultes honnêtes et responsables. Mais la tâche est-elle si aisée dans une ville où les préjugés règnent? Bien des années plus tard, Scout raconte son enfance auprès d'un père qu'elle admire et qui ira jusqu'au bout de ses forces pour défendre un noir accusé d'un viol qu'il n'a pas commis.

Je ne vais pas jouer sur l'originalité en lançant une info pareille, mais ce livre, c'est l'enfance, la vraie, la grande, comme peu d'écrivains savent la raconter parce que lorsque l'on s'attarde trop sur le littéraire on laisse de côté l'âme de ses petits héros, parce que de toute façon on l'a perdue de vue depuis bien longtemps. Mais ici, ce n'est pas le cas: Harper Lee a su retranscrire sur le papier les pensées d'une petite fille, drôle et attachante, un enfant pas forcément parfait mais incroyablement réaliste. On retrouve l'ambiance des jeux idiots et des fêtes de l'école, même si de nombreux critiques de l'époque ont reproché à Harper Lee d'avoir créé une petite fille qui parle trop bien pour son âge (6 ans). Cependant, en disant ça c'est un peu être à côté de la plaque parce que la première page précise justement que Scout raconte cette histoire avec le recul de quelques années.
La stratégie littéraire de Lee m'a fait un peu penser à Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez, pour cette intrigue construite à partir de petites anecdotes qui vont tisser une grande toile dans laquelle le lecteur va finalement comprendre le pourquoi du comment du lien entre le voisin qui vit reclus depuis vingt ans chez lui et le procès de Tom Robinson (grand écart littéraire, juste pour ça, chapeau 🎩).

Pour rendre le récit encore plus croustillant, Harper Lee a introduit des éléments inspirés de sa propre enfance: la gouvernante noire, la mère disparue (celle de Scout est morte tandis que celle de Lee avait une maladie mentale qui la rendait absente), le père avocat qui a défendu un Noir jusqu'au personnage de Dill, inspiré par son ami d'enfance Truman Capote (vous le connaissez? Tiens donc?) dont il a hérité une imagination débordante. 
Mais si vous lisez ce blog régulièrement vous devez vous douter que je n'ai pas emprunté ce livre uniquement pour lire des mémoires d'enfance. Na na na (je vais finir par raconter n'importe quoi si je n'arrête pas tout de suite cette musique), ce qui m'intéressait le plus était la manière dont l'auteur aborde le thème de la ségrégation dans les années trente. Thème chaud bouillant puisque c'est au début des années soixante que ce roman déboule sur la scène littéraire comme un pavé dans la mare (ou plutôt dans la gueule des gros racistes, c'est mieux 😉). Dès les premières pages, on bascule déjà dans l'univers d'une ville en (quasi) vase clos, pourrie de rumeurs et de préjugés, où tous ceux qui ont un comportement différent, à commencer par le voisin des Finch, Boo Radley, qui ne veut plus sortir de sa maison. En gros, tout le monde connaît tout le monde et initie les nouvelles générations à l'art du sectarisme et des commérages. D'ailleurs, Scout, son frère et leur ami Dill auront vite fait de prendre l'empreinte locale et de développer une attraction morbide envers leur voisin, un peu comme certains se jettent sur des magasines de faits divers (#Détective)
Je ris jaune, mais c'est la vérité. Sans même que ce personnage apparaisse, on s'en esquisse déjà un portrait à coups de rumeurs et de fantasmes, dépeint comme un homme violent qui erre la nuit en vrai loup-garou et empoisonne les pommes de son jardin pour tuer les enfants.
Triste, comme le monde est injuste. C'est dans ce cadre fort peu idyllique qu'a lieu l'agression d'une jeune fille blanche et pauvre, Mayella Ewell, pour laquelle il faut trouver un coupable. Vous le devinez bien, un Noir représentait alors une cible de premier choix, contre lequel un blanc, même pauvre, ne peut pas perdre. Eh oui, parce que si l'esclavage a été aboli quelque soixante ans plus tôt, ils n'ont pas pour autant gagné des droits. Pour tout dire, les communautés noires et blanches se regardent en chiens de faïence (il n'y a qu'à voir la manière dont on accueille Jem et Scout venus assister à l'office noir avec leur bonne, Calpurnia...). Le pauvre accusé doit se contenter d'un commis d'office pour sa "défense". Heureusement, il tombe bien.  Ah, Atticus, vous allez l'adorer, ce gentil petit papa plein de compréhension et de bonnes leçons, prêt à risquer sa vie pour se battre pour ce en quoi il croit!
Mis à part ce véritable héros de tous les jours, on obtient en parallèle un tableau très juste de l'hypocrisie d'une petite ville rurale, où rien ne se fait sans que personne vous espionne, juge vos actes et les commente dans un petit salon de thé où, de commérages et lamentations pseudo-chrétiennes, on assiste à une comédie grotesque que Scout, avec son objectivité d'enfant, va vite déceler. Il faut dire que c'est un vraie petite résistante. Sa Tante Alexandra (frustrée éternelle et raide comme un piquet) veut lui mettre une robe, elle fout le camp avec sa salopette, on traite son père d'ami des nègres (THE insult à l'époque), elle fracasse la gueule du gamin. Et petit à petit, comme dans un roman d'apprentissage, à coup de bonnes leçons signées Atticus, elle va apprendre à garder son authenticité et à vaincre les préjugés dont on veut lui farcir la tête.
Aujourd'hui encore ce classique de la littérature américaine (prix Pulitzer 1961, vous voyez le genre?) fait le beurre des profs de lycée, pour la justesse avec laquelle Harper Lee traite le monde d'une enfance pauvre pendant la Grande dépression, dans une Amérique rurale et ségrégationniste.






Commentaires

Articles les plus consultés